Alors que 2024 marque le centenaire du Manifeste du surréalisme, ce colloque s’inscrit dans les différentes manifestations prévues cette année pour célébrer l’histoire du mouvement et faire un bilan sur son héritage. Collectionneurs passionnés et avisés, les surréalistes furent fascinés, à l’instar d’autres mouvements d’avant-garde du début du XXe siècle, par les arts « non-occidentaux », qui prennent une place centrale dans l’imaginaire du mouvement et dans les collections de ses membres. Intégrer Dada à cette étude s’impose d’emblée, tant le surréalisme hérite du décentrement conceptuel déjà opéré par ce mouvement dont il est en partie issu, tout en l’infléchissant sensiblement. Dada, en effet, s’intéresse dès ses débuts aux arts « extra-européens ».
Dès 1917 et la première exposition “Dada. Cubistes. Art nègre” à la Galerie Corray de Zurich, Dada dépasse un intérêt purement formel en proposant non plus seulement un contrepoint plastique à ses expérimentations formelles mais en se constituant comme “la négation du “sens” européen habituel de la vie”. Dans les créations plastiques, les pratiques performatives et la poésie bruitiste, l’altérité que les artistes dada perçoivent dans des formes artistiques venues d’Afrique, d’Océanie et d’Amérique du Nord stimule la destruction des modèles occidentaux conventionnels et permet de repousser les limites expressives, qu’elles soient physiques ou spirituelles. Le surréalisme se développe sur un même terreau critique, dans lequel ces objets porteurs d’altérité sont des armes pour critiquer et contrer le rationalisme européen. Il systématisera les références à ces artefacts, ainsi que leur utilisation dans des manifestations collectives.
Si les traits les plus saillants de ce primitivisme dadaïste-surréaliste sont désormais bien connus, il semble important, à cent ans de la naissance du surréalisme, de le reconsidérer à partir des objets eux-mêmes, en étudiant leur circulation et le collectionnisme qu’ils purent susciter et nourrir. Plus en aval et plus tardivement, il est également essentiel de réfléchir à comment ce collectionnisme au sein du milieu dada-surréaliste a pu avoir une incidence sur le goût, le marché de l’art, et, au bout de la chaîne de reconnaissance, sur les musées. En effet, l’intérêt de ces mouvements pour les objets africains, océaniens et amérindiens est consubstantiel du formidable enrichissement, à l’heure de la consolidation des empires coloniaux, des collections ethnographiques occidentales. Tout comme ce développement marqua profondément l’imaginaire dada et surréaliste, ces poètes et artistes devinrent à leur tour acteurs du marché, prescripteurs de goût, et leur progressive inscription dans l’histoire de l’art et de la littérature fit et fait encore des objets de leurs collections des pièces de premier choix pour les musées ou les collectionneurs.
Ainsi ces artistes apparaissent-ils comme des acteurs du processus qui permit aux souhaits de Guillaume Apollinaire et Félix Fénéon de se matérialiser : débordant du musée ethnographique, l’art « extra-occidental », ces « arts lointains » sont entrés au Louvre et trouvent un espace dédié au Musée du Quai Branly – Jacques Chirac.
À l’heure où les musées ethnographiques entreprennent une profonde et nécessaire mutation autour des questions de spoliation, de restitution et d’étude des provenances, ce colloque se propose de mettre en lumière ce mouvement de balancier. Il s’agit aussi, en prenant en compte les perspectives décoloniales et postcoloniales, de souligner avec une précision accrue les contradictions du primitivisme dada et surréaliste, qui promeut ces cultures, prône la fin de l’entreprise coloniale, tout en se nourrissant de ce même contexte. Dans ce cadre, les objets, admirés, commentés, achetés et échangés condensent en eux beaucoup de contradictions de ce discours avant-gardiste.
En réunissant des spécialistes internationaux de Dada, du surréalisme, de l’art océanien, africain et des Amériques, des conservateurs de musée, des universitaires et des anthropologues, ces deux journées aspirent à replacer ce primitivisme particulier dans le contexte colonial et marchand où il a émergé pour mieux en déterminer l’origine, mais aussi, sujet d’étude plus neuf, son incidence sur le milieu qui l’a favorisé.
Programme:
JEUDI 24 OCTOBRE
16h30 Enregistrement et accueil des participants
16h45 Mot d’accueil
17h00 Projection du film documentaire Spirit of the mask par Joanne Robertson et Neil Diamond (durée: 88 min)
18h30 Entretien et discussion avec les réalisateurs modérés par Fabrice Flahutez et Marie Mauzé
VENDREDI 25 OCTOBRE
9h15 Accueil des participants
9h30 Introduction par Alice Ensabella, Fabrice Flahutez et Anne Foucault
10h00-12h30 Session 1 – Collectionneurs et marchands 1 (modération: Aurélie Verdier)
Hilary Whitham Sanchez, From Dada to Decolonization: Tristan Tzara’s Collection of African Art
Léa Bichard, Francis Picabia et l’art extra-européen. Quand l’étude d’un collectionnisme oublié mène à repenser l’œuvre
Marion Bertin et Tamara Schild, René Gaffé : A legacy of Dada and surrealist collectionism of “non-Western arts“
12h30-14h00 Déjeuner
14h00-16h00 Session 2 – Collectionneurs et marchands 2 (modération: Marie Mauzé)
Anastasia Gladoshchuk, L’art populaire et l’art naïf mexicain dans la collection d’André Breton
Caterina Caputo, From Mexico to California: Pre-columbian and Mexican Arts in Gordon Onslow Ford’s Surrealist Collection
Kate Conley, Max Ernst and Dorothea Tanning’s Gwasila House Post in Sedona, Arizona
Noémie Fillon, La Collection de Victor Brauner
16h30-17h00 Pause café
17h00–19h00: Session 3 – Environs du surréalisme (modération: Anne Foucault)
Sebastian Hammerschmidt, The Collection G. F. Reber, Carl Einstein and Documents. Collecting “World Art” in the Context of “Dissident” Surrealism
Susan L. Power, Unmasking a Mid-Twentieth-Century French Collection: Georges Duthuit’s North American Indigenous Sculptures
Fernanda Azeredo de Moraes, Collecter l’Amérique du Sud, collectionner l’Amérique du Nord : parcours croisés entre collections ethnographiques et collectionnisme privé chez Claude Lévi-Strauss
SAMEDI 26 OCTOBRE
9h15 Accueil des participants
9h30 Keynote: “Objets en question” – Effie Rentzou (Princeton University) et Philippe Peltier (musée du Quai Branly)
10h45 – 12h30: Session 4 – Images et objets, vecteurs de (mé)connaissance (modération: Magali Melandri)
Hélène Trespeuch, Des revues de l’entre-deux-guerres comme vectrices du goût occidental pour l’art extra-occidental
Marianne Jakobi, L’Australie des surréalistes : une présence en creux des collections d’art aborigène
Emmanuel Bauchard, Du rituel à sa représentation : l’appropriation surréaliste des objets vaudous
12h30-14h30 Déjeuner
14h30-15h15 Paul Davis, Beginning to Witness: A Surrealist Wunderkammer and Future Histories of Indigenous Objects
15h30-17h00 Table ronde: Provenances et restitutions: quels enjeux à reinventer? Marie Mauzé, Philippe Peltier, Aurélie Verdier, Laurick Zerbini (modération Fabrice Flahutez – Anne Foucault)
17h-17h30 Conclusions et présentation de projets
Comité organisateur
Alice Ensabella, Université Grenoble-Alpes Fabrice Flahutez, Université Jean Monnet Saint-Etienne, Institut universitaire de France (IUF), Anne Foucault, Centre Pompidou – Musée national d’art moderne; avec l’aide de Célia Chevalier, Université Grenoble Alpes
Comité scientifique
Sophie Bernard, Musée de Grenoble
Maia Nuku, Metropolitan Museum, New York
Marie Mauzé, CNRS, Collège de France
Magali Mélandri, Musée du quai Branly – Jacques Chirac
Philippe Peltier, Musée du quai Branly – Jacques Chirac
Joëlle Vaissière, Musée de Grenoble
Aurélie Verdier, Centre Pompidou – Musée national d’art moderne Laurick Zerbini, Université Lumière Lyon II
Informations pratiques
Auditorium du musée de Grenoble
5 place de Lavalette
38000 Grenoble
Accès libre
Pour toute information écrire à: surrealismegrenoble2024@outlook.com
For additional information, visit: www.museedegrenoble.fr/agenda/91345/1902-le-collectionnisme-dada-et-surrealiste-des-arts-extra-occidentaux..htm
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